Monseigneur Paul Amboise BIGANDET, missionnaire Franc-comtois
(Evêque de Ramatha, Vicaire apostolique de la Birmanie)
Le 19 mars 1894, jour de la fête de Saint Joseph, mourait à Rangoun, capitale de la Birmanie anglaise, un missionnaire franc-comtois, dont les travaux méritent d’être signalés à la mémoire de ses compatriotes. C’était Mgr Bigandet, évêque de Ramatha in partibus infidelium, doyen à l’âge de la société des Missions étrangères, décédé dans sa quatre-vingt-unième année, après avoir travaillé près d’un demi- siècle à la conversion des infidèles. Quoique bien incomplets, les renseignements sur Mgr nous le décrivent comme un des grands évêques consacrant leur vie à répandre la civilisation chrétienne au milieu de peuples païens, à demi sauvages.
Paul-Ambroise Bigandet est né à Malans, canton d’Amancey le 13 août 1813 est à été baptisé le même jour par le M.Simon (prêtre réfractaire), curé de la paroisse de Malans. Son père Antoine Bigandet était alors maire de la commune qu’il administrait déjà en qualité d’officier de l’état civil.Lorsque Paul-Ambroise Bigandet eut reçu les premiers enseignements de l’école, on l’envoya faire ses études au petit séminaire d’Ornans, qui était alors dirigé par M. l’abbé Dartois. Il y eut pour condisciples, entre autres, deux futurs jésuites, MM Dhoutaud et Tournier, un futur professeur de philosophie, M. Etienne Marmier, et un futur missionnaire diocésain, M. J-B Bergier.
Le jeune Bigandet figure parmi les lauréats du petit séminaire jusqu’en 1828. Il était dans la seizième année de sont âge quand il alla commencer à Besançon son cours de théologie. Au témoignage de ses maîtres, il s’y distingua par sa piété, son aptitude et ses progrès dans la science sacrée.
En 1832, il avait terminé son cours. Il fut envoyé, comme professeur, au petit séminaire de Marnay. Maître dévoué, intelligent, d’un caractère vif et aimable, il se consacra pendant quelques années à l’enseignement classique. Mais Dieu l’appelait à une vocation plus laborieuse, et, en 1836, il entrait à Paris au séminaire des Missions étrangères. Il en sortit l’année suivante, pour se rendre à la mission de Siam et de la presque île de Malacca.
M.Bigandet atteignait alors sa vingt-cinquième année. Il était dans toute la vigueur de la jeunesse et dans toute la ferveur du zèle apostolique. La ville de Mergui était le lieu de résidence de la mission de la Malaisie. C’est là, qu’il alla débuter dans la carrière de missionnaire. Il voulut d’abord apprendre à connaître les peuples qu’il devait évangéliser, et se mit à parcourir les montagnes et les vastes forêts habillés par les peuplades sauvages du Birman britannique.
Parmi les races diverses qui occupent ces contrés, celle des Carians excita particulièrement l’intérêt du jeune missionnaire. Dans une lettre du 3 décembre 1839, datée de Mergui, il rendait compte d’une excursion qu’il avait faite dans les bois habités par cette peuplade. Après avoir visité la ville de Tennasserim, autrefois remarquable, et qui n’était plus alors qu’une ruine, M. Bigandet arriva, avec ses gens dans la région de Carians, et se mit en rapport avec le tsaï, ou maître de la nation. C’était une espèce de prophète, vêtu d’une robe blanche, portant une longue barbe et se disant en communication avec les êtres surnaturels. Il eut avec lui un grave entretien sur les grandes vérités religieuses.
» C’est un esprit juste, écrit-il qui saisie la vérité avec une étonnante précision; cœur droit, il lui rend un généreux hommage dès qu’il l’a reconnue. C’est ainsi qu’il a successivement adopté l’enseignement de l’Evangile sur la nature de Dieu, sur l’action de la Providence, sur la création de l’homme, sur la chute de nos premiers parents, enfin sur le touchant mystère de l’incarnation divine »
Le lendemain, jour de la pleine lune, toute la tribu des Carians s’assemble, selon l’usage, pour prier. M.Bigandet profita de cette réunion pour les évangéliser. Le tsaï lui servit d’interprëtre, et ses paroles furent accueillies avec une profonde vénération. C’était là une première semence qui devait germer dans ces âmes. Le missionnaire les quitta en promettant de revenir bientôt parmi eux. et il revint souvent dans cette peuplade, où se formèrent peu à peu d’intéressantes chrétiennetés.
Les Carrians, M.Bigandet, les appelle « nos amis ». Ce sont disent les Annales de la propagations de la foi, les habitants primitifs du sol. Ils donnent le plus d’espérance à l’apostolat et paraissent être le but principal de ses efforts. un amour instinctif de la solitude les retient au milieu des forêts, où ils vivent en petit groupes de familles , défrichant par l’incendie l’espace qu’ils veulent cultiver; et comme ils sont toujours prêts à décamper après le première moisson, ils n’ont pour abri que des huttes aériennes construites sur les rameaux des grands arbres, auxquelles ne peut atteindre le tigre, leur seul voisin et dangereux ennemi.
C’est au milieu de ces tribus patriarcales et hospitalières que M. Bigandet aimait porter les enseignements de l’Evangiles.
D’autres tribus erraient dans la grande chaîne de montagne, M.Bigandet décrit ses tribus dans ses lettres, comme des débris de races indigènes, de pauvres sauvages placés au dernier rang des familles humaines. Leurs habitations étaient souvent perchées à la cime des arbres, pour se protéger des tigres…
M.Bigandet continua cette oeuvre d’évangélisation. il y mit toute l’ardeur de son zèle » Il n’y a que la croix, dit il qui puisse sauver d’une entière destruction ces enfants du désert. Soit qu’ils continuent leur vie sauvage, soit que des circonstances imprévues les exposent, avant le baptême, au contact des nations civilisés ils disparaîtront rapidement, comme se sont évanouies les anciennes populations de l’Amérique devant les conquérants européens.
La presque île de Malacca était confiée à la société des missions étrangères. Au nord de cette presqu’île s’étendait la Birmanie. En 1849, le vicaire apostolique de cette région était Mgr Balma. C’est à lui qu’était réservée la plus terrible et peut la dernière épreuve: nous voulons parler de l’invasion anglaise de 1852, qui détacha de l’empire birman la moitié de son territoire. pendant la lutte la moitié des églises vinrent la proie des flammes, les vases sacrés et les ornements furent livrés aux pillages et à la profanation , les missionnaires désemparés furent obligé de mendier leur riz de chaque jour. Les Birmans pour se venger de leur défaites, persécutaient les chrétiens résidant en Birmanie. malgré tous les efforts, Mgr Balma, perdit courage, l’épuisement et une santé fragile l’obligea à remettre ses fonctions à la société des missions étrangères représentée par M.Bigandet. Il fut convenu qu’on y enverrait de la presqu’île de Malacca, un supérieur et cinq missionnaires. M Bigandet fut nommé supérieur. il était déjà à cette époque, pro- vicaire de Mgr Boucho, vicaire apostolique de la presqu’île. Missionnaire dans ces régions depuis 1837, il pouvait dans cette occasion, donner mieux que personne tous les renseignements nécessaires.
Aussi, dès 1852, il était venu en en France exposer la situation au directeur du séminaire de Paris. Il profita de ce voyage pour revoir sa chère Franche- comté, il dut donc séjourner à Malans pour rendre visite à ses parents.
Le 1952, il était à Besançon, et rendait visite au bibliothécaire M. Charles Weiss, qui écrivait ce jour là: » Nous avons ici Paul Bigandet, missionnaire dans les pays de Birmans, où il va retourner dans quelques jours. C’est un homme de quarante ans, modeste et fort instruit. Il sait la plupart des langues de l’inde; il a publié un catéchisme en Birman et une traduction de l’Imitation en langue anglaise. Il a déjà donné plusieurs article important dans les journaux anglais de l’inde. »
La société des missions étrangères avait déjà à défricher l’indo-Chine et la Chine. En acceptant la charge de la Birmanie M.Bigandet rêvait de mettre les deux anciennes missions en relation, et d’ouvrir pour cela des communications par une route allant de la capitale de l’empire birman à la ville chinoise de Yun-nan.
De retour en Inde M.Bigandet fut sacré évêque de Ramatha in partibus infidelium le 30 mars 1856. Il reçut le double titre d’administrateur de la mission du et d’Ava, et de coadjuteur du vicaire apostolique de la presqu’île de Malacca, dont la Birmanie n’était qu’une sorte de emenprolongt.
Mgr Bigandet visita ainsi, dès l’année 1856, les principaux, postes de la base de Birmanie, et pourvue autant que possible à leurs besoins.
Il voulait rétablir une route entre la Birmanie et le Yun-nan. Le roi de l’empire Birman, lui fournissa des éléphants pour visiter ses chrétientés. Il visita donc ainsi la plus grande partie du vicariat, des presbytères, des églises. ils constatèrent un dénuement le plus absolu, chez les chrétiens la misère la plus affreuse. Voulant réagir M. P.Barbe proposa a Mgr Bigandet d’emprunter une somme de 15000 fr remboursé en 3 annuités de 5000fr chacune, afin de parer aux premières difficultés. Ce fut une trait de lumière, et l’état de mission s’améliora.
Les chrétiens étaient en faible nombre en face des millions de païens qui occupaient les villes et les villages. Toutefois ces chrétiens y vivaient en paix. Mais cette influence était insuffisante à transformer l’opinion d’un peuple immobilisé dans la foi de Bouddha, et composé d’une multitude de tribus appartenant à des nationalités diverse. Quelles patience était nécessaires pour défricher ce vaste champ, où vivaient simultanément les Birmans, les Péguans, les Carians, les Shans, les Kakyans et d’autres encore.
Dans plusieurs villages entièrement païens, Mgr Bigandet retrouva des souvenirs du christianisme. Là, les anciens chrétiens, perdus au milieu des païens, sans prêtre et sans églises , avaient fini par oublier leur religion, ou bien ils avaient été dispersés par des bandes de pillards qui envahissaient le pays.
L’éducation toute Bouddhique des enfants était un obstacle à la conversion des Birmans. « les maîtres d’écoles bouddhistes, dit Mgr Bigandet, ne s’adresse qu’a la mémoire, jamais à l’intelligence. Un Birman ne sait ni penser, ni réfléchir, ni remonter à un principe pour en tirer une conclusion. Le fait attire son attention, tous les observateurs ont remarqué ce manque d’originalité des populations de l’Indo-Chine occidentale, des Birmans en particulier. Le remède à ce mal, était une réforme à l’éducation, il fallait apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes, à comparer les doctrines de leurs ancêtres avec celles de l’Evangile, et les attirer ainsi par la sagesse et la beauté de la religion chrétienne. Et c’est ainsi qu’ils s’exécutèrent, Mgr Bigandet avec l’aide de ses collaborateurs fondèrent d’abord une grande école à Bassein, en appelant à leur aide les frères des écoles chrétiennes. Il y construisit des bâtiments scolaires admirablement disposés, avec salles de classe, de travail, dortoirs, réfectoires vastes et bien aérés.
C’était un vrai collège, auprès duquel une imprimerie fut installée. L’évêque prépara les livres qu’on y imprima en caractères Birmans. On publia successivement les épîtres et les évangiles des dimanches, des recueils de prières, des livres classiques de géographie, arithmétiques, géométrie, histoire…Bientôt la mission de Birmanie posséda tous les ouvrages de piété et de pédagogie nécessaires.
Après l’école de Bassein, on en fonda à Rangoun, et à Moulmein. Celle de Rangoun possédait plus de cinq cents élèves. Près de là, ils ont établi un orphelinat où ils recueillirent les enfants pauvres et abandonnés. Ils ont encore installé à Bassein une école professionnelle, où les jeunes gens apprennent les métiers qui leur permettent de gagner honnêtement leur vie.
A Mandalay, capitale de l’empire, le roi supplia Mgr Bigandet de lui envoyer un missionnaire comme percepteur de ses enfants, et c’est ainsi qu’une école chrétienne ouvrit ses portes à Mandalay, au frais du roi et où furent élevés les fils de quelques officiers du palais.
Les écoles se multiplièrent, des presbytères et des églises furent construits et accueillirent des milliers de chrétiens Carians et les conversions se comptaient par centaines.
Mgr Bigandet songea aussi à former des institutrices indigènes, pour transmettre l’éducation aux jeunes filles, qui étaient condamnées en Extrême-Orient à une ignorance éternelle, il n’y avait qu’une façon de les réhabiliter : l’école. Et c’est ainsi que Mgr Bigandet fonda sous la direction de sœur Marie des Anges, un institut qui prit le nom de congrégation de Saint-François-Xavier, pour former le personnel destiné à ces écoles de hameaux. Ces sœurs indigènes vêtues d’une robe et d’un voile noirs, faisaient la classe et visitaient les malades. C’étai un spectacle admirable de voir au milieu des forêts des Carians, ces jeunes filles nées païennes, passant leur vie à apprendre la lecture, l’écriture, la couture, et enseigner le nom et la loi de Dieu.
Actuelle Ecole Paul Bigandet en Birmanie
Une œuvre bien importante était encore dans les projets et les désirs du zélé vicaire apostolique. C’était la formation d’un clergé indigène, qui saurait la langue du pays, pour lui enseigner les éléments de la religion. Il parvient à en élever quelques uns dans les séminaires organisés à Raugoun.
En plus de tous ces travaux Mgr Bigandet ajoutait les tournées pastorales qu’il faisait chaque année, et où il réunissait autour de lui les populations des villages chrétiens pour leur faire entendre la parole évangélique. « Il est impossible écrit-il, d’exprimer tout le bonheur que ressent un missionnaire qui, après de longues courses, où il n’a rencontré que des païens, se trouve tout à coup au milieu d’une chrétienté fidèle, dans une église qui arbore en triomphe , au sommet de son clocher, le signe consolant de notre rédemption. ».
Il restait plusieurs jours dans ces stations administrant le baptême et la confirmation, prêchant, faisant le catéchisme à ses braves gens.
La tribu des Shans était presque toute bouddhiste. Il voulut essayer de l’attirer vers la foi. Pour cela, il obtint en 1860, de la compagnie Anglaise un vaste terrain. Il y réunit ces peuplades, les organisa en village, les fit évangéliser, et en baptisa un grand nombre. Le grand obstacle à la conversion de ces peuplades, c’est avons nous dit, l’obstination dans le bouddhisme. Pour mieux comprendre les birmans, L’évêque Bigandet, voulut étudier la doctrine de Gaudama (Le bouddha Birman). Le bouddhisme sous toute ses formes diverses, est la croyance dominante dans une grande partie de l’Asie. Son empire s’étend sur environ un quart du genre humain. Bien que basé sur des erreurs capitales révoltantes, le bouddhisme enseigne un nombre surprenant, des plus beaux préceptes et des plus pures vérités morales. Mais, par une aberration inexplicable et déplorable, le prétendu sauveur qui, dans ce système, doit délivrer l’homme de toutes les misères qui l’assiègent, le plonge à la fin dans le gouffre sans fond de la plus complète annihilation.
En 1858, Mgr Bigandet publia en anglais la vie ou légende de Gaudama. Plus tard, le savant missionnaire découvrit, dans la capitale birmane, un très rare manuscrit sur feuille de palmier, ou il puisa de nombreux et intéressants détails sur les actes et discours de Gaudama. Il en profita pour publier une nouvelle édition considérablement augmentée de son ouvrage, avec une notice sur les moines birmans. Ce travail important forme un grand volume de 540 pages, et a été traduit en français et publié à Paris en 1878. C’est certainement un des documents les plus curieux sur cette religion qui enveloppe encore tant de millions d’hommes.
C’est ainsi que cet homme actif, zélé et intelligent unissait les travaux de la science à ceux de l’apostolat. Il se félicitait d’une liberté entière sous le gouvernement anglais, et en profitait pour multiplier les écoles et les établissements catholiques. C’est par ces œuvres qu’il luttait contre les influences des sociétés protestantes, très riches et très puissantes à Rangoun et à Moulmein. Mais on est bien obligé de reconnaître le dénouement de ces missionnaires, qui ne se contentaient pas comme les protestants, d’évangéliser sur les côtes, mais s’enfonçaient dans les forêts pour gagner les âmes.
Mgr Bigandet rêvait toujours d’établir une mission permanente chez les Kakyans, palés aux confins de la Chine. Cettemission devait ouvrir la voie pour annoncer l’Evangile aux tribus sauvages les plus reculées. Il se rendit sur place, pénétra au milieu de ses tribus qui habitent un pays ravissant dont jusque-là on ne connaissait guère que le nom…
Sur la fin de 1869, il revint en Europe pour prendre part au concile du Vatican. Il en profita donc pour revenir quelques temps en Franche-Comté. Après avoir visité Malan, son pays natal, il alla à Ornans au séminaire, où il avait fait ses classes.
Le 15 janvier 1870, il était à Rome, et écrivait à M. le curé de Malans pour se féliciter de la joie trop courte qu’il avait goûté en revoyant son pays natal. « Vous ne sauriez croire dit-il, tout le bonheur dont je jouissais en me rappelant les souvenirs de l’enfance, et en revoyant ensemble les lieux et les scènes du jeune temps. » Il ajoute qu’il remarquait quelque agitation dans le concile ; « mais je ne doute pas, disait-il, du triomphe de la vérité. »
Bien que les protestants s’installèrent à Rangoun et développèrent des écoles, les missionnaires catholiques ne s’endormaient pas et si, comme on le comprend facilement, le gouvernement favorisait les missionnaires anglicans, il se montrait bienveillant pour les catholiques. L’éducation catholique faisait des merveilles ; le nombre de conversions était consolant, et tous les ouvriers évangéliques étaient très zélés et d’une vertu héroïque. Ce qui manquait, c’était un plus grand nombre de missionnaires, on en réclamait de tous côtés.